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COMBAT AU BOUT DE LA NUIT de Sylvain L'Espérance documentaire, 2016, HD, couleur, 285 min, Québec Tourné sur une période de deux
ans, Combat au bout de la nuit nous
entraîne dans un grand voyage au cœur de la Grèce
actuelle. C’est là, dans ce pays précipité dans la
tourmente par la domination d’une économie totalitaire,
qu’émerge aussi chaque jour un refus obstiné de cette
violence. Propulsé par des énergies complémentaires et
dissonantes, le film est irrigué par un désir de liberté
et par la force rebelle de ceux qu’il fait se
rencontrer. Qu’ils soient Athéniens ou réfugiés afghans,
soudanais, syriens, femmes de ménage ou travailleurs du
port licenciés, médecin bénévole ou sans-abri, tous ces
hommes et ces femmes, par leur présence et leurs récits,
se répondent et tissent entre eux des filiations
inattendues. En accompagnant ceux qui, du lieu où ils
luttent, forgent un autre avenir, Combat au bout
de la nuit est traversé par l'intuition
profonde que dans le chaos du présent, un monde commun
aux contours encore indéfinis cherche à naître.
Quelques mots sur le titre du film Le titre « Combat au bout de la
nuit » est tiré d'un poème de Tassos Livaditis écrit
alors qu'il était emprisonné sur l'île de Makronissos au
lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Des
milliers de communistes, de poètes et de libres penseurs
y ont été emprisonnés dans ce qu'on appelait des « camps
de rééducation », mais qui étaient de véritables camps
de concentration. Soumis à une terreur
généralisée, la poésie apparaissait comme le seul
refuge pour ces prisonniers.
En découvrant ces poèmes, ceux de Livaditis, de Yannis Ritsos et Aris Alexandrou, j'ai d'abord été frappé par leur modernité et les nombreux rapports qui se tissent entre ce qui traverse leurs textes et la situation actuelle en Grèce. Après la fermeture des frontières européennes, où plus de 50 000 réfugiés sont bloqués sur le territoire et plusieurs milliers enfermés dans des camps, mais aussi dans cette Grèce née de la capitulation de Syriza face aux financiers de la Troïka, la poésie est l'un des rares espaces de parole qui s'oppose à la guerre économique qui enserre les peuples. Combat au bout de la nuit s'ouvre sur cet extrait du poème de Tassos Livaditis : « Qu'est-ce qui brille-là dans le noir serait-ce le soleil Un homme brûle un homme éclaire la nuit debout dans une guérite il éclaire la nuit ils l'ont enduit d'essence et l'ont enflammé un grand feu s'est enflammé déjà dans le monde allons nous réchauffer ce soir voir un peu de ciel voir si nous sommes morts » (Tassos Livaditis, Combat au bout de la nuit, tiré de L'amertume et la pierre, poètes au camp de Makronissos, traduction de Pascal Neveu, Ypsilon Éditeur) Mise en contexte La Grèce est aujourd'hui le
laboratoire d’un capitalisme sauvage. Celui qui dévaste
un pays entier, plonge sa population dans un état de
pauvreté jusqu'alors inédit et transforme cette région
en zone sinistrée. Ce qui se met en place dans ce pays
s'impose comme un modèle qui tend à se répandre partout
au sud de l’Europe. Mais le procédé risque ultimement
d'être appliqué à tout le monde occidental, comme on
commence déjà à le percevoir ici même au Québec.
Au cœur de ce film, la ville d'Athènes qui accueille toutes les luttes ayant cours en Méditerranée. Celles des Grecs eux-mêmes, qui refusent de se laisser vaincre par le pouvoir d'un État prédateur et se regroupent pour faire face à la destruction de toutes les structures sociales. Puis celle des migrants et des réfugiés fuyant la guerre qui dévaste leurs pays, tout en étant traités comme des « clandestins », contraints de vivre cachés pour échapper aux forces policières qui n'ont cessé de les traquer depuis les années 2000. Il aura fallu qu’ils soient des centaines de milliers à fuir leur pays, comme on l’a vu en 2015 avec les Syriens et les Afghans gagnant depuis la Turquie les côtés des îles grecques, pour que la force du nombre les fasse enfin considérer pour ce qu’ils sont: des réfugiés. Chômeurs, sans-abri, réfugiés se retrouvent ainsi à partager le temps du film un même espace que le cinéma permet de saisir. Ce que Combat au bout de la nuit met en relation en faisant se croiser la présence et la voix de ces hommes et ces femmes, c’est diverses formes de lutte contre la marginalisation. Une question au cœur du film: comment inventer des formes de mise en commun qui puissent assurer la survie, mais surtout dégager un horizon différent ? C'est ce que les Grecs tentent de faire de multiples manières à travers tout un réseau de groupes de solidarité dans les domaines de la santé, de l'éducation, du logement, etc. Ce film met en lumière leur combat. Rappel historique La Grèce est rentrée dans la
zone euro suite à une manipulation des chiffres réels de
son économie. Manipulation qui a fini par éclater au
grand jour avec la crise de 2008, obligeant le pays à
recourir, au printemps 2010, à l'aide financière de la
Banque centrale européenne et du Fonds monétaire
international. Une promesse de prêt de 110 milliards
d'euros est alors consentie aux conditions suivantes :
hausser la TVA à 23 %, diminuer les pensions, faire
passer l'âge de la retraite des femmes de 60 à 65 ans,
supprimer les indemnités salariales dans la fonction
publique, libéraliser et privatiser les entreprises
publiques de communication, de transport et d'énergie,
réformer le marché du travail et faciliter les
licenciements. Or, ces mesures drastiques ont affaibli
l'économie grecque et, en février 2012, un second prêt
de 130 milliards est accordé par la Troïka (formée par
la Banque centrale européenne, le FMI et la Commission
européenne). Le gouvernement grec est contraint par ses
créanciers de promettre de nouvelles restrictions
budgétaires, qui deviennent la seule forme de
gouvernement possible: fermeture d’hôpitaux et de la
télévision nationale, mise à pied massive des employés
de l'État, abaissement du salaire minimum, coupes dans
les retraites, privatisation des sociétés d'État, vente
du port d'Athènes, de terres agricoles et de biens
collectifs à des intérêts étrangers, etc. Ce sont ces
principes et ses effets dévastateurs que l’élection de
Syriza en janvier 2015 visait à contrer en proposant de
fonder une véritable solidarité européenne. Mais
celle-ci a plutôt permis aux représentants du
capitalisme financier de démontrer qu’il n’y a aucune
alternative aux règles qu’ils imposent unilatéralement,
jusqu’à mettre tout un peuple à genou, comme on a pu le
voir à l’issu des (non)négociations ayant eu lieu entre
février et juillet 2015. La capitulation du gouvernement
Tsipras, à la suite du référendum qu'il avait pourtant
gagné contre les politiques de la Troïka, a mené à
l’application d'un troisième mémorandum avec des mesures
encore plus dures que les précédentes.
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